L´Afrique et le levier existentiel de sa réalisation
Quel poids de mesure et d´effort faut-il donc pour sortir ce continent de sa tristesse ?
Le long bras de l´effort
«Il s´agit aujourd´hui moins de croire, de choisir ou d´attendre qu´on nous fasse le progrès, qu´on nous offre une culture ou un avenir quelconque, que de participer, de défendre et d´épanouir une existence qui, dans ses particularités, ses ambitions et ses aveux, nous réalise pleinement, légitiment. Car la liberté, comme la démocratie, si on s´en réclame et y aspire, et si ce ne sont pas des illusions vides et trompeuses, sont valables pour tous. » Musengeshi katata
En réponse à Lokolé.
Tout semble s´ensabler à une impasse frustrante qui transforme les efforts ailleurs fructueux et prometteurs en des gouttes d´eau dans une mer en furie et aux vagues déchaînées ravalant bien de bonnes intentions à une nullité toute désarmante. A croire que les Dieux de la négation avaient levé leurs mains destructrices sur l´Afrique. Sortir de ce piège n´était plus un hommage au respect de la liberté ; cela devenait un étrange rituel inconsolable qui, comme une veillée enragée, cherchait les moyens, les meilleurs instruments pour déplacer les gris nuages qui assombrissaient son avenir.
Le retard, la naïveté, la faiblesse, l´ignorance ou même l´illumination de l´aveuglement activiste…tout cela ne pourrait être vaincu libérer le ciel africain en l´ouvrant à un avenir moins douloureux, plus prometteur, que si ses enfants cessaient de se faire des illusions ou de se cacher derrière des paravents surfaits qui n´aggravaient que le mal, parce qu´ils projetaient des ombres mensongères autant sur la réalité que sur l´effort auquel ce continent devait se soumettre pour retrouver le sain chemin qui mène à l´abri des rêves et des attentes brûlantes de ses enfants excédés par la misère et la pauvreté.
Beaucoup d´africains, dans leur désarroi autant que dans leur ignorance s´imaginent encore à tort qu´il est possible de retourner au passé pour échapper à un monde hostile dans lequel ils avaient difficile à s´imposer, à réaliser leurs rêves. Et comme des enfants qui ne trouveraient pas satisfaction en quittant le sein protecteur et nourricier de la mère, ils réclameraient de redevenir fœtus, de reprendre le nombril intérieur protégé et bienveillant qui lui avait offert tranquillité et assurance. Hélas, c´était bien tard. Aussitôt nés dans notre monde d´effort, de contradictions et d´antagonismes, ils n´avaient plus le choix : ils devaient grandir, s´émanciper de leur mère, se libérer de la dépendance ombilicale pour mûrir et s´ouvrir à leur propre réalisation. Qui dit que la nature ne nous offre pas en miniature biologique ce à quoi la phénoménologie de notre vie nous destine ?
C´est pourquoi, ceux qui affirment ou défendent l´opinion selon laquelle il suffirait de retourner en arrière, de faire appel aux pharaons et aux pyramides, ou aux royaumes africains passés et à leurs structures ou leurs sens défaits et plutôt archaïques que visionnaires modernes du sens de l´histoire ; ceux-là ont bien tort. Car ils ne tiennent pas compte que, dans notre monde d´adversité et de concurrence, où les matières premières ainsi que la qualité de l´air, de la nature et de la créativité se disputaient et se convoitaient âprement dans une course à la fois destructive que défiante ; se retirer sur soi-même ou se refuser volontairement à affronter, à assumer le défi du progrès scientifique, de l´électronique, de la communication, des avantages de la mécanisation et de l´organisation rationnelle de la société civile, c´est, hélas, se condamner à mourir à petit feu dans un manque douloureux et une impuissance solitaire, pendant qu´on était soumis à toutes les vicissitudes des intentions et des désirs rapaces des autres.
Il n´y a, à mon avis, qu´un moyen de se défendre : relever le défi à tous les plans en activant tous les facteurs, en mettant toutes les possibilités rationnelles, matérielles, imaginaires africaines au service d´une motivation supérieure et décidée. C´est certes un long chemin ardu et soutenu que d´actualiser ses facteurs de production, mais si la conscience et le réalisme sincère et ponctuel s´y attellent en agissant en profondeur et au sources, le capital humain peut devenir rapidement performant et efficace.
Ce qui fait la morosité actuelle de l´Afrique et ses déboires momentanés tient du fait qu´un groupuscule de gens du pouvoir vide et déjoué ou de la production infantile n´ont pas une vision adéquate ni de leurs devoirs, ni du contenu réel de leurs obligations sociohistoriques. A quoi cela est-il dû ? A bien de facteurs : à l´archaïsme scientifique, rationnelle de la connaissance en Afrique traditionnelle encore arrimée à la stagnation, à la colonisation qui, pour aliéner et soumettre pour mieux asservir, ne forma pas des penseurs, mais bien de subalternes. Autrement dit – et effectivement – il ne s´agissait ni de partenariat, ni de respect culturel mutuel, mais bien d´assujettissement paternaliste dans le meilleur des cas. Cela ne conduisit, aujourd´hui, qu´au malaise intellectuel à être qu´on découvre partout, autant chez les afrodescendants libérés de l´esclavage ou immigrés, que chez les africains continentaux eux-mêmes.
Le prisme de la liberté, au lieu de réaliser et projeter chacun dans sa propre sensibilité, la participation de ses efforts à la réalisation de ses désirs, de ses besoins, se retrouve aliéné à la logique utilitariste et dominante du maître métropolitain et centralisé. Ce n´est pas seulement la culture qui était surfaite et dévoyée chez le dominé, c´était aussi le sens et la portée de son imaginaire et de sa créativité qui étouffaient sous le dictat sociohistorique du maître. Et celui-ci n´intègre ou ne reconnaît que ceux qui engrangent son intérêt et ses privilèges hégémoniques ! Or, son centralisme hégémonique est non seulement nocif à la liberté des autres, de ses victimes exclues ou exploitées, et cela depuis des siècles ; mais cette réalisation unilatérale d´intérêt et de culture préjudicie à toute éclosion d´une réelle démocratie politique et culturelle entre dominant et dominés. Et donc n´ouvre pas sur la liberté réelle.
Aujourd´hui, sous les cris et les protestations de la périphérie, de l´Afrique toute entière, l´occident prend lentement conscience que la liberté, cette fleur vivante de toute culture et de toute existence humaine n´est ni un dictat politique, économique de dominant à dominé, ni l´imposition d´une culture prédominante à sens unique. C´est un lieu pluraliste de cultures, de sensibilités, et de réalisations fondés sur le respect de la liberté de tous et de tout un chacun. Mais comment revenir aujourd´hui en arrière, si les institutions, les privilèges et les normes établies depuis 600 ans n´avaient pour but que de faire des offrandes à un seul Dieu ? Là se trouvaient le dilemme. Celui d´une religion qui, à force de ne reconnaître qu´elle-même par principe, avait, malgré ses trompeuses affirmations, oublié qu´elle se devait de respecter aussi les autres cultures et leurs existences.
La Chine, l´Inde, La Russie, le Brésil nous apporteront-ils cette dose de changement optique qui ouvre sur une meilleure démocratisation du monde en faisant valoir leurs droits légitimes à l´industrialisation ? Je le pense bien. Et malgré la sourde lutte de prédominance qui s´ouvre entre les nouveaux arrivants et l´occident, il n´y a pas lieu, en Afrique, de se laisser aller en choisissant l´un ou l´autre camp. Car si ces nouveaux arrivants nous offrent la chance d´émanciper la « démocratie occidentale », ils ne sont arrivés à ce résultat qu´en commettant des efforts individuels ardus et soutenus. C´est donc que c´est le seul chemin qui ouvre sur la liberté car chacun doit apporter, au moulin de la fête culturelle mondiale, lui-même le tourment de sa propre prière. Car lui-même en connaît le prix culturel sacré, le secret profond de son originelle beauté.
Musengeshi Katata
Muntu wa Bantu, Bantu wa Muntu