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29 novembre 2005

L´âme noire face à elle-même

Les Cercles Vicieux III - A

L´âme noire et son tourment

La fin de la semaine se passa sans autre incident ; Lou et Malaïka répondirent à l´invitation de Zola à Londres et revinrent le mardi matin. Le mercredi, Lou prit l´avion pour Buenos-Aires  et revint quatre jours plus tard. A son retour, Kalala lui ouvrit la porte avec un étrange sourire satisfait :

-          C´est fait, M´fum ; l´opération a été un succès complet.

-          Excellent Kalala, en voilà un qui se repentira d´avoir affamé nos femmes et nos enfants…Raymond s´est-il déjà annoncé ?

-          Non, M´fum ; mais je crois qu´il viendra ce soir…au plus tard demain.

-          Très bien, où est ma femme…

-          Elle est allée avec Kalumeh et Fatma chez le pédiatre, pour l´examen périodique.

-          Ah, bon…sers-nous donc un bon café, mon ami ; je suis crevé…

Pendant qu´ils buvaient le café, Lou demanda soudain à Kalala :

-          Dis-moi Kalala, pourquoi la discussion, la recherche de Dieu est-elle si importante ?

Kalala le regarda, comme s´il voulait sonder s´il voulait réellement une réponse à sa question ou si ce n´était qu´une simple réflexion personnelle. Ayant vu que Lou attendait une réponse, il s´avança :

-          Dieu, M´fum, ce n´est pas seulement la divinité absolue au dessus de nous, ce sont des valeurs d´éthique et de morale humaine qui nous rapprochent de la perfection, qui nous mettent sur les traces, la voie de Dieu. C´est aussi nos choix sensibles et rationnels d´organisation, d´institutions, de moyens physiques et immatériel ayant pour but d´œuvrer à notre réalisation : la jouissance de la paix retrouvée au sein de notre spiritualité.

Lou bougea, ce qui provoqua un arrêt de flux dans les dires de Kalala ; mais il leva la main :

-          Continues, je t´écoute…

-          …Dieu, ce n´est ni un dictat, ni une obligation ; c´est un vœu intime et personnel dont le tourment, à la fois subjectif et rationnel cherche, sur le tourment inconsolable de notre éphémère existence à saisir le véritable sens de la vie : sa finalité la plus belle et la plus pure.

Beaucoup de gens croient…

Lou écoutait d´une oreille ; il ferma les yeux et releva ses pieds sur la table basse du salon. Son esprit fit un bond dans le passé, sur les traces silencieuses de l´histoire de l´homme noir ; il laissa à lui venir toutes les images que lui suggérait ce passé dans tous ses aspects, à la recherche de points de repères, de lieux de jointure ou de césure avec l´invisible sens existentiel de cette race dont il faisait partie. Parfois, il lui arrivait de croire qu´on pouvait saisir l´âme vivante de ce premier habitant de la terre, la disséquer, pour mieux en analyser le profond fondement métaphysique, hélas, il n´y avait que les faits connus qui permettaient d´approcher ce peuple exceptionnellement patient et pacifique, dont le caractère collectif avait des formes de cohésion incroyablement solides et homogènes. Mais l´histoire de ce dernier millénaire semblait avoir désarçonné le sens paisible de son histoire…l´esclavage, la colonisation, ses maux actuels, sa faiblesse et son impuissance témoignaient du mal qu´il avait à se retrouver.

Et la question qui le hantait souvent lui revint à l´esprit : comment en sortir ; comment retrouver la paix et la sérénité perdue tout en répondant aux exigences nouvelles des temps modernes ? Lou rouvrit les yeux et demanda tout à coup à Kalala :

-          Dis-moi, Kalala, qu´avons-nous commis comme erreur ; comment pouvons-nous en sortir ?

Celui-ci se tut un court instant, puis énonça d´une voix qui se voulait neutre :

-          Notre première erreur est de n´avoir pas pris conscience plus tôt des intérêts du monde qui nous entourait, de ne nous être pas mis à jour par rapport à la connaissance rationnelle et à son accumulation discutée et divulguée. La seconde est d´avoir sous estimé les dangers culturels et économiques que représentait les envahisseurs arabes ou occidentaux.

-          Et maintenant, demanda Lou en se levant et en se servant un cognac ; comment en sortir, dans nos conditions actuelles ?

-          C´est très simple, M´fum ; réparer les erreurs du passé, cultiver et promouvoir une identité sociohistorique propre, et nous délier de l´aliénation et l´interventionnisme culturel, structurel de la civilisation occidentale, de quelque civilisation que ce soit. Nous libérer de l´esclavage mental, comme le disait si bien Bob Marley, ainsi que la colonisation qui, aujourd´hui encore, tente de nous dominer sans nous reconnaître le droit à une identité propre, sans nous offrir un rôle équitable autre que celui dicté par ses intérêts et sa vision par trop égoïste et cupide de la coexistence, nous sommes tenus à élever la voix pour défendre nos intérêts menacés.

-          La liberté, Kalala ; ce que nous voulons à tout prix, c´est la liberté…rien d´autre que la liberté…et pas moins que la liberté !            

Lou vit Kalala sourire intérieurement. Il répondit, détendu :

-          La liberté, M´fum, nous l´avons ; ce qui nous manque, ce dont on nous prive et ce dont pour lequel nous devons nous battre, c´est de son contenu, c´est à dire de sa pleine réalisation réelle et imaginaire. Malcolm X, Patrice Lumumba, Marius Mosiah Garvey, Zumbi, Thomas Sankara… : tous étaient, dans des situations diverses, arrivés aux mêmes conclusions. La liberté, il faut la prendre comme une belle femme ; lui faire des enfants qui nous ressemblent et qui viennent défendre notre amour, parfaire nos valeurs, et armer la famille contre tout danger qui la menace. Intérieurs et extérieurs.

            Ce qui me dérange, avoua Lou en acceptant de la tête les conclusions de son interlocuteur, c´est que l´occident persiste sournoisement à nous mettre dans une situation où nous avons l´impression de lui devoir notre liberté…Dieu est blanc, les structures internationales par trop imprégnées d´utilitarisme et de structuralisme défendant aveuglément les intérêts du grand capital, la domination culturelle héritée de la colonisation…tout cela me semble irritant et pour le moins…handicapant. Je me demande s´ils se rendent compte de ce qu´ils font…sous les beaux slogans de démocratie, de civilisation, de droits humains ?

-          De deux choses l´une, conclut Kalala : ou ils ne savent pas ce qu´ils font ou ne se rendent pas des conséquences de leurs actes…dans ces cas, ils sont dangereux : on ne peut pas croire qu´en faisant l´esclavage, en privant des êtres humains de liberté ; en castrant les cultures avec la colonisation qu´on fait du bien au prochain ou qu´on agit en sa faveur. S´ils savent ce qu´ils font et cependant persistent, cela ne veut simplement dire que nous nous trouvons devant la civilisation la plus criminelle et la plus inhumaine de l´histoire humaine. Nous devrions la traiter comme tel et nous méfier de toutes ses néfastes influences.

-          Ca…J´ai bien peur que tu n´aies raison, Kalala…j´ai bien peur que tu aies pleinement raison, marmonna Lou pour lui-même.

Lou se tut. Et se replongea dans ses idées ; cette désagréable situation de l´homme noir avait fait naître de drôles de comportements antagonistes : celui du nègre noir, authentique et respectueux de sa culture, qui tentait de se mettre à jour, de réparer les dommages causés à son histoire et à son existence tant bien que mal ; c´est celui que l´occident et ses adeptes inconscients étouffaient et assassinaient chaque jour avec leurs interventionnismes politiques et monétaires, ainsi que le financement de rébellions armées ou de dictatures. L´autre, le nègre blanc, c´était celui qui affichait de toutes ses dents les valeurs du maître blanc et les défendait. Convaincu que Dieu étant blanc comme on le lui avait à tort appris, il lui fallait devenir blanc : adopter son rôle et le jouer avec talent. Il courait vers des valeurs vides, qui souvent l´excluaient lorsqu´il s´agissait de reconnaissance et d´équité, mais qu´importe ; du moment que l´homme blanc le flattait et était content de lui, il était satisfait. Après tout que voulait dire fierté d´être si on était toujours l´objet du pouvoir dominant blanc ; ou encore que valait une culture qui ne connaissait que la faiblesse, la soumission et la misère à léguer à ses enfants ? Une bonne dose d´opportunisme, cela peut bien aider, de temps en temps. Après tout, ça rapportait plus que de vivre d´eau fraîche et de fausse fierté. La dernière invention du monde occidental était le cri démocratique qu´ils lançaient à la périphérie comme un mot magique ; et pourtant, à mieux y regarder, on se demandait quand ce mot magique construirait-il l´industrie qui manque, les écoles, les hôpitaux ? On poussait les sociétés africaines surtout à se « démocratiser » en surveillant leurs votes et l´élection de leurs élites. Tout cela était bien beau, mais était-ce la vraie réponse à la misère, à la pauvreté, à l´exploitation sauvage et partiale du Pouvoir Blanc depuis des siècles envers ce continent, ou n´était-ce qu´un nouveau trompe lapin : un faux visuel qui cachait et embuait le principal : les revendications économiques et sociaux d´un continent croulant sur le poids écrasant de l´exploitation économique la plus inhumaine qui soit. Et avec un peu de jugement, on arrivait à la conclusion que cette fameuse démocratisation n´avait pour but que de dévoiler les forces politiques réelles de ces pays, afin de mieux les corrompre, de mieux les immobiliser. Le peuple ainsi confiant d´être gouverné par ses fils les plus représentatifs, était plus facile à manipuler et à tromper. Car nul n´a jamais vu une démocratie construire des routes, cultiver des champs, enseigner la connaissance, ou produire simplement pour donner du travail aux gens. Pour ceux qui s´y laissaient tromper, c´est l´exemple de celui qui apprenait à dresser une table, sans être invité à y déguster les mets qui y seront servis ou encore celui auquel on demandait d´aimer et de respecter le cadre, les contours d´un chef d´œuvre invisible, qui ne satisfaisait ni ses attentes, ni ses rêves. La vulgaire et méprisante duperie qui consistait à  dévoyer les attentes, les revendication africaines vers la vide illusion, plutôt que de les satisfaire. La liberté, comme la fameuse démocratie électorale ou institutionnelle, sont des acquis historiques répondant à l´organisation et à la gestion de quelque chose de plus important : la réalisation sociale et individuelle. Croire qu´on pouvait se parer de démocratie

dans la misère et l´exploitation sans répondre aux exigences réelles du progrès, de la productivité, de la connaissance et de la culture est du plus grand ridicule. Et ceux qui imposaient cette démystification aux autres ne montraient que trop bien à quel point ils méprisaient ceux auxquels ils offraient à avaler ce vide mensonge.

Lou soupira et jeta un regard lourd de contenu à Kalala ; celui-ci était, comme lui, occupé à démêler quelques sombres pensées.  

Lou revint à la description de ces africains plus éloquents qu´intelligents, et s´arrêta cette fois aux hybrides : ceux qui au gré des circonstances changeaient de camp, comme par exemple l´ambassadeur Elengesa, à Bruxelles, qui ouvrit l´ambassade pour permettre l´arrestation par la police belge d´un congolais en séjour illégal qui y avait trouvé refuge. Les belges, en colonisant le Congo, en fouettant, en assassinant ou en coupant les mains de récalcitrants, avaient-ils tenus compte de la souveraineté congolaise ? S´étaient-ils comporté en civilisés pour qu´on leur donne aveuglément la bénédiction aveugle de bonne foi ? Quel était donc le devoir premier d´un ambassadeur à l´étranger ; protéger ses compatriotes de tous les dangers qui pouvaient les menacer ou les livrer à leurs ennemis ? Jouer les vertueux, quand on ne connaît pas sa propre histoire ou celui avec lequel on dîne, ça peut être dangereux. Mais Mobutu n´avait-il pas donné l´exemple à son ambassadeur ? Pendant que le peuple se débattait avec sa  cuisine africaine, lui se dotait d´un cuisinier français et levait le doigt à Paris en disant : « Mon peuple, je le mène par le bout du nez ». Ce genre de présidents qui prêchaient l´eau fraîche et buvaient le vin quand ils se trouvaient en face du blanc ; ça fait bien, ça fait civilisé car le blanc, il aime qu´on flatte et qu´on adopte ses valeurs. Et pour couronner l´ironie, pendant que ces délégués de multinationales voraces et cupides leur volaient leurs richesses, puisaient abusivement dans leurs accumulations, renvoyant ces pauvre pays dans l´âge paléolithique, on invitait ces pauvres à danser et à se contorsionner à moitié nu devant leurs invités sournois : l´humiliation de la plus basse ironie. On les vole et on leur demande de danser et de chanter ; l´Afrique n´est-il pas un continent merveilleux ? Mais vous reviendrez, n´est-ce pas ? Mais bien sûr ! C´est un pays merveilleux…ces nègres si pacifiques et si avenants ; à quand le prochain dictateur ?      

Dans les métropoles occidentales on retrouvait les mêmes camps, le même sectarisme ; mais cette fois c´était le patriote africain qui était en minorité et qui en souffrait, solitaire et incompris. Il avait beau crier sur les toits, personne ne l´entendait ; ici, la survie dictait sa logique : si tu ne te plies pas au système, tu meurs ou tu rentres chez toi. Ces métropoles étaient bondées d´opportunistes, d´illuminés, de frustrés en mal de reconnaissance qui tous attendaient de briller, de participer à la grande bouffe du maître ; mais ils ne savaient plus à quoi, pour qui ils oeuvraient. La logique, la finalité de leur engagement importait peu, seul comptait d´être de la partie. Même si, avec leur aide, on corrompait, on détroussait, on enfonçait les leurs de l´autre côté de l´océan. Qu´importe, on fermait faussement les yeux ; on bouchait sournoisement les oreilles : moi d´abord, le reste…on verra bien. Si au moins tout le monde était content et fier d´avoir fait son choix ; d´autres par contre essayaient de manger à tous les râteliers : à vouloir conférer de café en café qu´ils étaient fiers d´être africains quand ils ne savaient même pas où se trouvait le Maniema, la province de naissance de Patrice Lumumba ou qui était Engelbert Mveng, du Cameroun ; quant à savoir qui était  Njoyo, roi des Bamoun, ou Marcus Mosiah Garvey…Harriet Tubman…Toussaint Louverture, Zumbi, peine perdue. On se contentait de jouer le rôle d´être africain, mais en réalité, c´est depuis longtemps qu´on servait le maître français, anglais, hollandais, belge, américain…De ces mêmes intérêts qui s´abattaient sur l´Afrique et à coup de malice, de trafic d´influence, la dévalisaient, l´enfonçaient dans la misère noire ; eh oui : l´intégration avait son prix et ses exigences, dommage que ce soient les pauvres et les démunis de l´Afrique qui en payaient le prix dur de la reconnaissance sociale des étrangers en occident, sinon, d´où viendrait l´argent que diable !  Quand on voyait le nombre de prostituées noires à Paris ou dans tous les buissons du Bois de Boulogne, on avait compris : l´africain noir, décidément, traînait toujours malgré le prix sanglant et douloureux de l´esclavage et de la colonisation, le bas de l´échelle sociale en occident. Mais qu´est-ce qui le poussait donc à s´offrir au dénigrement ? La pauvreté, la famine…n´a pas de vertu. Et dans le capitalisme, la prostitution reflétait le mieux le mal qui séparait les uns des autres : celui qui possède et celui qui s´offre sans vergogne aux désirs, aux bons vouloir du possédant. Servir le plaisir de l´autre en écartant grandes les jambes. Mais diable, pourquoi ne se révoltaient-ils pas ; ou croyaient-ils que tout cela était normal qu´ils soient toujours du mauvais côté de la barrière ? Dieu était blanc et les noirs, eux, il devaient commencer par le bas de l´échelle ? Pudiquement, on fermait les yeux sur les mouvements de va et vient devant les forêts et les buissons remuants dans lesquels, à même l´humus et l´herbe confuse, ou quelques grossières cache vues de pagnes, des jeunes africaines acculées par la pauvreté et exploitées par une mafia africaine de la prostitution, sans espoir, se livraient à la prostitution pour quelques 20 Euro par client.

On faisait des projections, des reportages sur ce mal grandissant, mais cela changeait-il les conditions qui avaient conduits à ces drames ? 

Peut-être ne s´agissait-il que d´un malentendu par lequel l´homme noir n´avait pas compris ce dont il était question ? C´est à se demander : ces élites africaines qui devaient protéger les leurs et leur ouvrir un meilleur venir, que faisaient-elles, pardieu ? Vendaient-elles les leurs à bas prix, comme jadis pendant l´esclavage ; pour des mousquets, des chevaux, des bibelots, de l´alcool. L´histoire immonde des incapables, comme le disait si bien Georges Bush se répétait-elle ?

Des intellectuels, il n´en manquait pas, en Afrique, même de bien brillants mais on n´en voyait que trop peu occupé à fouiller l´histoire passée de l´Afrique, et surtout, ce qui était le plus important : de tirer conclusion du passé, et retrouver l´Esprit d´un meilleur avenir. Tout cela était bien joli, les pyramides, les kamites et que sait-on encore…de ceux qui, pour bâtir leur pyramides léguèrent à l´Afrique son désert saharien en abattant tous ses arbres pour rouler ces pierres énormes et les élever sur leurs socles. Et si aujourd´hui seule l´Egypte en profitait, le désert, lui affligeait tout le continent et grandissait inéluctablement de 5 km par ans. Quelle prouesse, n´est-ce pas ? Et tandis que cette brillante culture tournée vers l´adoration des morts disparaissait (comment pouvait-il en être autrement), le désert, lui demeurait, bien réel et menaçant pour les vivants. De beaux monuments d´un fier témoignage de grandeur passée…et cependant des pierres mortes. L´avenir, lui, était fait de vivants aux rêves brûlants, impatients.

Le troubadour instruit avait envahi les rangs de l´intellectuel noir et l´assiégeait de ses belles incantations. Il contait, racontait, et voilait le principal plutôt qu´il n´en rappelait l´importance. Les joies du subsidiaire léger et bon enfant l´emportaient ainsi, suggérant à l´homme noir qu´il suffisait de danser, de jouer, de rire pour oublier ses malheurs. Alors qu´il fallait des concepteurs, des démêleurs rationnels pour résoudre les problèmes réels actuels et ceux de l´avenir. Ce ne seront ni les pharaons, ni les pyramides qui viendront construire des écoles, des hôpitaux, faire la recherche, créer la technologie ou nous sauver du Sida…il ne faut pas rêver. A moins que ce ne soit le prétexte, le refuge de l´impuissance ou de la débandade ? Ce manque de réalisme et d´efficacité réelle à résoudre les problèmes actuels et de sauvegarder l´avenir devenait, à la longue, insupportable. A toute jambes, les cerveaux africains tournaient le dos à leur continent, faute de moyens de réalisation, et curieusement, leurs pays faisaient appels aux chinois ou aux indiens pour pallier aux carences. Fallait-il vraiment croire que ces pays qui n´avaient su donner à leurs propres enfants les moyens de promouvoir et de protéger leur société, avaient tout à coup les moyens d´engager et d´entretenir des étrangers ? De quelle logique s´agissait-il ? On estimait à 47% le nombre d´intellectuels et de cadres formés ghanéens qui vivaient en dehors de leur pays ! Qui veillerait et soignerait les faibles, les malades ; qui donc créerait le progrès afin que la société puisse en jouir et s´épanouir, si les intellectuels, les véritables architectes de l´avenir quittaient le front ? L´illusion déroutante du centrisme métropolitain occidental ne ruinait-il pas la démocratie et la liberté à la périphérie, la condamnant ainsi à végéter et à stagner ?

Sorti de ses réflexions, Lou demanda soudain à Kalala :

-          Dis-moi maintenant ce qu´il en est de cette opération « récupération des moyens privés de production » ?

Kalala, cette fois, rit de bon cœur devant cette formule qui rappelait celle des Tupamaros ; cette allusion lui plaisait bien, et montrait à quel point Lou s´amusait de la chose.

-          Ca lui a coûté 865 millions…

-          Oh là là ; tant que ça ? Et le coup est sans faille ? Demanda Lou surpris.

-          Jusqu´au dernier rond, et sans le moindre faille. J´ai clos l´opération jeudi matin. Ce matin j´ai eu la confirmation de la banque : notre compte a été crédité de la somme…après plusieurs détours.

-          Et pas de traces…mon Dieu, il doit être en rage… !

-          Pas le moindre trace ; en plus, je lui ai préparé quelques surprises…il aura plus à se débattre avec la justice américaine qu´à chercher qui l´a ruiné. Et sans argent et sans ami…

-          Excellent, Kalala, excellent…que cela lui serve de leçon. J´ai vu qu´il était mêlé à la vente de sang infecté, de lait, de déchets…bien fait pour lui. Il n´est pas dit que nous ne réagissons pas quand on assassine les nôtres…erreur, grossière erreur. Dieu nous garde de ce genre de voyous.

On sonna à la porte.

-          C´est sûrement madame, avança Kalala en quittant la pièce.

Il revint avec un Raymond gai aux anges qui s´exclama aussitôt en entrant dans le salon :

-          Bonjour, Lou. Ce coup, c´est digne d´un diplôme en finances et investissements. Chapeau, mon ami ; c´est du tonnerre !

Et il lui tendit une serviette :

-          Pour toi.

Kalala regarda la serviette, puis il demanda la permission à Lou de l´ouvrir. Du regard, celui-ci acquiesça. Sans se presser, Kalala ouvrit la serviette de cuir et déversa le contenu sur la table.

-          Un million de dollars, lui dit Raymond en riant ; un cadeau de ma part.

Kalala se contenta de ranger les billets dans la serviette.

-          Eh bien, demanda Raymond surpris, pas de réaction ? C´est ton argent ; tu l´as bien gagné !

-          Merci bien, dit Kalala en prenant des yeux contact avec Lou ; mais ce n´était pas une question d´argent.

-          Bien sûr que ce n´était pas une question d´argent ; mais le résultat était de déposséder ce bandit, et nous y avons réussi…hé, ça mérite tout de même qu´on s´en réjouisse, ou pas ?

Lou intervint en souriant :

-          Apporte le champagne, Kalala ; Raymond a raison : nous allons fêter cette victoire…

-          Mais oui, reconnut Raymond ; quand a-t-on jamais eu l´occasion de sévir un salaud de la même manière qu´il nous a dépouillé ? Musique, c´était de la classe, mon ami ; non, non,  ne sois pas modeste …tu es dangereux ! Dit-il en éclatant d´un rire heureux.

Lou et Kalala se laissèrent quelque peu gagner par la bonne humeur de leur ami et cependant, on le voyait sur le visage de Lou surtout, que tout cela n´était pas le plus important. Et pendant que Raymond, légitimement, se réjouissait, Lou avait pensé aux victimes décédées de ce spéculateur sans scrupule ; qui leur rendrait vie, et ceux qui en souffraient encore, qui leur rendrait ce qu´ils avaient perdu de plus précieux : l´innocence, la foi en un monde juste et équitable ? Rétablir la confiance était beaucoup plus difficile que de la détruire.

Lorsque Malaïka revint et qu´elle apprit la nouvelle, elle ne cacha pas son émotion :

-          Mon Dieu, ça va lui faire du mauvais sang, une somme pareille…

-          Du mauvais sang ? Mais notre ami Kalala l´a complètement ruiné jusqu´à la dernière chemise ! S´il sait encore se payer un sandwich demain, il le devra sûrement à sa femme…

-          Tant pis pour lui, c´était un salaud ; qu´il aille donc pleurer dans la rue de faim et de

misère comme les enfants auxquels il avait fait la même chose ! Mais que fait donc cet argent sur la table, un peu voyant, non ?

Il y avait, dans cette phrase une claire accusation de savoir faire.

Lou jeta un regard à Kalala ; celui-ci prit la serviette et la rangea dans un tiroir.

On convint avec Raymond du  lendemain en fin d´après midi pour régler les parts. Lorsque Raymond fut parti, Lou s´adressa à Kalala devant sa femme :

-          J´ai réfléchi à cet argent, Kalala ; la part de Raymond et celle d Eugénie revient à 110 millions…chacun de nous, de tous ceux qui sont liés au projets de la clinique recevront 10 millions chacun, y compris toi et ta femme. Le reste sera un fond que tu gèreras dans l´intérêt de tous ceux qui ont été lésés. A partir d´aujourd´hui, tu es indépendant.

-          Impossible, M´fum ; j´ai un autre devoir…

-          Ah, Kalala ; je crois que j´aurai difficile à me passer de toi…et je n´en ai pas l´intention ; mais que cela ne t´empêche pas de veiller, en bon père de famille et dans l´intérêt qui nous est cher, ce capital. Me suis-je clairement fait comprendre ?

-          Très clairement M´fum ; je vous remercie de cette confiance…

-          Vous êtes quelqu´un qui le mérite, Kalala. Personne à part vous ne vous demandera des comptes. Seule votre conscience sera juge et partie.

-          Bien, M´fum…si tels sont vos ordres…

-          Ce sont mes ordres…et en ce qui me concerne, cette histoire est terminée. Vous vous occuperez de tout, n´est-ce pas…Kalala ?

-          Absolument M´fum.

Kalala se retira. Lou avait vu des larmes dans ses yeux, et avant de sortir il avait hésité devant la porte, puis il l´avait refermée sans bruit derrière lui.

Lorsqu´ils restèrent seuls, Malaïka remarqua :

-          Crois-tu qu´il soit à la hauteur de gérer une telle fortune ; j´ai eu l´impression qu´il craignait que tu ne veuilles se débarrasser de lui…

-          Je lui fais confiance, et je crois qu´il est le seul homme que je connaisse pour remplir efficacement ce devoir. Et rester tout de même à mes côtés. Il m´est devenu indispensable. J´ai besoin de son intelligence, de sa clarté d´esprit, de son aide.

Il se détendit, alluma la télévision et suivit les informations pendant que rapidement Malaïka se changeait et veillait au souper.

Le soir, il sortit avec Kalala promener, faire quelques pas dans les bois. Au cours de la promenade, Kalala lui demanda :

-          M´fum, n´avez-vous jamais pensé à des chiens de garde ?

-          Si. Mais c´est plutôt à un léopard que j´ai pensé, répondit Lou.

Kalala se mit à rire franchement.

-          Tu me le rappelles, faudra peut-être adopter des chiots ; c´est une bonne idée ; ils pourraient s´habituer à Kalumeh et jouer avec lui…

-          …Et cependant veiller sur la famille. Surtout la nuit. Je vais m´en charger.

Au milieu du sombre bois, uniquement illuminé par leurs lampes de poche, Lou convia à une pose sur un tronc d´arbre écroulé par quelque vent.

-          Laisses-nous nous reposer un moment, assura Lou.

Kalala accepta malgré lui ; il n´était pas à son aise dans la forêt sombre et insolite. Il resta debout, aux abois et pour calmer quelque peu ses appréhensions, Lou lui dit calmement :

-          Allons, assieds-toi et détends-toi ; personne ne nous visitera ce soir : il n´y ni porte ni de richesse à dépouiller. Eteins donc tes lumières,  tu vas effrayer les pauvres animaux. Nous sommes aussi des visiteurs.

Lorsque la lumière se fut éteinte et que tout ne fut que sifflement et frottement insolite des feuilles et des vents dans leurs étreintes dansantes, et qu´un silence plutôt engourdissant eut repris sur les ombres incertaines des arbres et des buissons, Lou, tira de sa poche un cigare qu´il alluma et fuma tranquillement, puis il s´adressa à Kalala :

-          Vois-tu, Kalala…sur l´immensité irréversible des âges, sur cet océan des temps qu´est l´existence, nous ne sommes que des ombres invisibles, esseulées…sur les vagues déchaînées

de la vie. Nous cherchons notre âme…que nous voulons réconcilier avec son esprit. Notre démarche semble pour beaucoup incompréhensible…et cependant…notre prière, cet appel impérieux que notre âme assoiffée et meurtrie lance du fond de sa solitude, de son invincible tourment ; il est difficile à ignorer…Tout ce qui est arrivé à l´homme noir l´a écarté du noyau secret de son âme en le déchirant, en le séparant de lui-même. En lui imprégnant des voies, des attitudes qui n´étaient pas les siennes parce qu´elles ne répondent pas à la vérité de sa réalisation, aux voies profondes de son expérience sensible et à ses attentes. Nous vivons, certes, mais nous vivons loin de nous-mêmes…plutôt influencés par les autres que répondant à nos propres intérêts.

Plutôt attelés à réaliser les bons loisirs du maître, du courant dominant, qu´à donner à nos enfant le pain et l´avenir dont ils ont besoin pour entreprendre et entretenir l´espoir. N´est-ce pas irresponsable de notre part ? Qui donc nous lavera les pieds, nous apportera de l´eau fraîche à notre moulin lorsque nous serons vieux, sinon eux ?

Lou s´arrêta de parler, les mains raidies dans une posture figée, comme si des images invisibles avaient troublé le cours de ses idées, puis il reprit avec une voix conquérante, passionnée :

-          C´est notre devoir de retrouver la voie de notre cœur, celui qui ouvre sur l´amour de notre âme. Nous devons nous donner le courage, la force et les moyens de reconquérir l´esprit, l´âme sacrée de notre existence…nous le devons à un meilleur avenir, à nos enfants, à nos ancêtres…à nous-mêmes, parce que là se trouve notre réel progrès…notre vraie existence. Il est temps d´unir, de rassembler…de réveiller ; de permettre à ceux qui n´ont jamais parlé de s´exprimer, à ceux qui ont souffert de soigner leurs blessures, à ceux qui ont cultivé la haine de revenir à la joie…à ceux qui n´ont jamais été aimé de découvrir l´amour…là est notre devoir : donner à chacun la chance de retrouver, de reconnaître et de chérir l´intérêt de son existence, celui qui mène à la grandeur de notre âme, à sa liberté, à sa paix…à sa réalisation réelle. Je sais, ce ne sera pas facile ; mais c´est ma foi…Et cependant, comme tu sais, une chose est la foi, autre chose est la vertu, et celle-ci ne s´entretient qu´avec le ventre plein ; sans manque, sans cette pénétrante douleur de l´impuissance.

Après quelques minutes de silence, la voix caverneuse de Lou enchaîna, comme pour clore un débat intérieur intense :

-          Et celle non moins déchirante de ne valoir sa vie, son existence qu´aux bons vouloir d´un autre, d´un ordre, de normes qui nous définissent ou nous emploient à des fins occultes qui nous réduisent à l´état de sujet ou d´objet de leurs intentions.

Kalala, ému, aux bords des larmes, se contenta, avec un immense effort d´articulation à citer

quelques vers d´Aimé Césaire extraits du Cahier d´un Retour au pays natal :

Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte... Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerai».
Et je lui dirais encore :
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »

Et venant je me dirais à moi-même :
« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse... »

                                  

Lou ne dit mot, il se contenta d´apprécier ce petit intermède littéraire ; il fuma longtemps en silence, confiné sur lui-même, puis il se leva, éteignit soigneusement son cigare et lança :

-          Allons, bon ; rentrons…

Sur le chemin de retour, ils changèrent de propos, parlèrent de choses et d´autres ; Lou appréciait la conversation avec Kalala, parce qu´elle était riche, intelligente et souvent pleine d´humour. Il savait autant s´enfoncer dans l´histoire, disséquer les faits et les actes du passé que les relier aux courants des temps présents afin d´en rire ou d´en tirer des conclusions rationnelles intéressantes. Il citait, datait les faits, les pensées avec une aisance toute doctorale ce qui lui donnait, dans cette nuit envahie de pénombre et d´ombres diffuses et fluettes, l´aspect d´une lumière dansante ouvrant la marche sur les pas de Lou. Celui-ci trouva la chose plutôt amusante, et suivit sans se presser les larges pas de son ami.   

Lorsqu´il quittèrent le petit sentier qui menait à la sortie du bois, Kalala posa enfin la question qui le démangeait depuis quelques jours :

-          M´fum…vous ne voulez pas vous défaire de moi…

-          Pas du tout, Kalala ; bien au contraire…mes rapports avec toi doivent changer. Je voudrais que tu me considères comme un ami, un frère…plutôt qu´un maître.

-          Mais, M´fum…protesta Kalala.

-          C´est bien là le problème…ou je serai obligé de me séparer de toi, ce que je regretterai infiniment. Peux-tu arriver à m´appeler par mon nom, à te conduire comme membre de ma famille ? Comme un cousin, par exemple…

-          Je vais essayer, M´fum.

Lou se retourna vers lui et grinça amicalement.

-          Eh, bien ; espérons que tu t´y feras. Cette histoire à Bangkok…ce n´est pas du grand hasard que je t´en confie la gestion…à propos, de combien est le capital à ta disposition ?

-          485 millions. Il faudra compter quelques 37 millions de frais et commissions bancaires.

-          Hem…bien, prends en soin précieusement et mets-toi au travail. Nous ne sommes ni des voyous, ni des bandits…mets l´argent au service du peuple, pas le peuple au service de l´argent. Et prouve qu´avec ton intelligence, ton esprit d´organisation, ta volonté et l´aide de tous les nôtres, et je pense ici aussi à Mbo, tu es capable de fleurir ce capital, de lui donner un caractère réparateur et bienfaisant…un vie de sueur et de créativité, mais une complainte emplie de joie et de satisfaction. Sans ni le détruire, ni en aucun cas le mettre en danger. Et s´il t´arrive de faillir, ce qui peut arriver à n´importe qui, fermes les yeux et imagines-toi que tu te trouves devant toute une nuée des plus pauvres de nos enfants et qu´ils tendent tous leurs mains vers toi…Me le promets-tu ?

-          Absolument, M´fum. Sur mon âme.

-          Eh bien ; dans ce cas, tout est dit à ce propos. Et plus question de M´fum ou de monsieur, n´est-ce pas ?

-         

Ils arrivèrent devant la grille illuminée de la villa. Lorsqu´elle s´ouvrit automatiquement, Lou satisfait laissa choir :

-          Brrr…qu´il fait froid ! Vite un bon bain, un voluptueux cognac, et les beaux yeux d´une femme qui vous aime, est-ce que la vie n´est pas belle, Kalala ?

Kalala ne répondit pas, il se contenta de sourire d´un air complice et  entendu.

......

Extrait choisi des Cercles Vicieux   Auteur Musengeshi Katata   Droits réservés

munkodinkonko@aol.com

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