Démocratie et liberté: en Afrique des valeurs vides, sous estimées ou mal comprises ?
Les valeurs les plus précieuses de la réalisation humaine seraient-elles,
en Afrique, suite à la longue période d´oppression islamique, à la colonisation
occidentale et face aujourd´hui à la pression des cultures extérieures industrialisées sur
ce continent, incomprises ou mal interprétées dans leurs contenus actifs et
usuels ? Ou l´Afrique n´arrive-t-elle tout simplement pas à épanouir, à
donner à ces valeurs la couleur réelle et le contenu directement liés à sa
légitime réalisation ?
Entre le vide et le plein, à la recherche du précieux
discours réalisant de l´avenir
“Sitting at the table doesn´t make you a dinner, unless you eat some of
what´s on that plate.”
Malcolm X. Malcolm X speaks. 1965
Avant d´aborder une approche de définition de ces deux valeurs, nous devons
dire que c´est l´élite d´un pays ou d´un peuple à qui revient le devoir de
définir, sous une sévère et non moins sincère considération de tous les
facteurs connus et estimés, leur mise en œuvre et des conditions par lesquelles
autant la réalisation sociale collective que la réalisation individuelle
pourraient atteindre au mieux leur meilleur épanouissement. Lorsque pour une
raison ou pour une autre ce devoir est négligé ou qu´il est exercé par d´autres
que l´élite propre à la culture ou à la société concernée, il s´ensuit des
manquements, des inadéquations conduisant plus à l´aliénation qu´à la
réalisation elle-même. Ce qui a une implication fondamentale sur le contenu et
la portée réelle de l´exercice de la liberté, ou encore l´aspiration à la
démocratie comme telle.
En Afrique, sortie de son sommeil historique (ou de son isolement, comme on
voudra), tour à tour perturbée par les envahisseurs musulmans depuis le 7e – 8e
siècle, puis par les conquérants occidentaux à partir du 15e siècle ; ce
continent eut du mal à se constituer, sans écriture et objectivisation de la
connaissance et de l´histoire vécue, une idéologie sociale objective et rationalisée.
Ici disons-le bien vite : ce ne sont ni les structures, ni les principes
de valeurs garantissant la gestion sociale qui manquaient sur ce continent,
loin de là. La culture égyptienne antique connaissait l´écriture, la science et
la technique; mais celles-ci furent réservées aux pharaons et aux hauts prêtres
servant les cultes religieux et le pouvoir. De ce fait, ni la connaissance, ni
les théories ou spéculations rationnelles ne connurent une divulgation
populaire ; ce qui aurait permis autant leur critique que l´appréciation
de leur véracité dans le temps et l´espace. Les islamistes apportèrent certes
après leurs conquêtes l´écriture, la science et biens de nombreuses
applications techniques ; mais leurs sociétés furent tellement subjuguées
par la religion et l´étude du Coran qu´on sous estima à tort la culture de la
pensée rationnelle libérée de l´absolutisme religieux. Les sociétés islamiques
accusent, aujourd´hui encore, un développement social et dialectique rationnel
bien pauvre parce polarisé autour de l´absolutisme islamiste.
Après l´indépendance, et suite à une prise de conscience accrue de la part
de certains leaders africains tels Patrice Lumumba, Ruben Um Niobé, Kwame
Nkrumah, Ahmed Sékou Touré, Modibo Keita, Léopold Sédar Senghor, Nelson
Mandela…etc dont la plupart furent assassinés ou jetés en prison, les
métropoles occidentales furent obligées de plier aux apparences. Les pays
africains devinrent donc indépendants pour la forme ; c´était à eux de
montrer qu´ils étaient capables d´organiser et de gérer cette indépendance dans
leur intérêt. Après tout celui qui veut la liberté doit savoir non seulement
l´exercer et l´assumer ; il doit aussi en définir clairement l´enjeu et
les principes de faisabilité. Les choses, au lieu d´évoluer positivement,
pourtant, se détériorèrent bien vite notamment parce que les occidentaux
tenaient malgré tout à garder les nouveaux pays indépendants sous leur
influence économique et politique afin de profiter de leurs ressources minières
et naturelles dont leurs industries et leurs sociétés étaient dépendantes.
D´autre part, les leaders africains, faute de techniciens, d´ingénieurs et
surtout de penseurs sociaux, ne surent donner à leurs sociétés les facteurs
sociaux appropriés leur permettant de restaurer leurs identités sociales et
culturelles respectives en les dotant des moyens avec lesquels ceux-ci seraient
à même d´employer leurs propres moyens pour se réaliser. On adopta plutôt, ou
on laissa actives les normes éducatives, la langue ou les principes de gestion
et de promotion sociale hérités de la colonisation. Ceci va créer plus tard un
réel malaise culturel autant qu´une scission culturelle interne dans toute
l´Afrique entre ceux qui avaient fait leurs études et s´étaient assimilés bon
gré mal gré aux occidentaux, et ceux qui, sous la misère et la pauvreté de
financement d´une éducation coûteuse que l´Etat indépendant ne savait pas
supporter dans sa faiblesse, étaient restés ancrés dans l´ignorance et la
culture traditionnelle.
Aujourd´hui, il s´agit de réunifier les cultures africaines en muant ces
deux visages en un seul. Mais pour cela, il faut des valeurs, des principes de
liberté et de réalisation sociale valables pour tous et réhabilitant
entièrement la société autant dans ses devoirs, ses obligations, que dans la
promesse de réalisation que société consciente et responsable tient autant
envers les rêves que les attentes légitimes de ses membres. Et c´est face à
cette nécessité qu´il est urgent, sinon adéquat de lever les équivoques issues
du passé autant que du manque d´éclaircissement dialectique quant à la liberté
d´une part, et la démocratie de l´autre.
La liberté est l´ensemble des efforts réels et intellectuels, les
obligations et les droits par lesquels ou avec lesquels nous pouvons assumer notre
existence et nous réaliser. Ces facteurs de liberté, s´ils sont légitimes,
dépendent cependant de nos aptitudes individuelles autant que de la société
dans laquelle nous vivons. Les valeurs sociales et mêmes individuelles ne sont
pas statiques ; elles se font et se défont au gré des attentes, des
aspirations et de luttes de revendication et de promotion sociale. Le but réel
de la liberté étant d´acquérir ou de réaliser la satisfaction des attentes et
des espoirs légitimes de chaque vie. La liberté se fait donc, se discute,
autant qu´on en hérite de certains principes du passé ou de l´évolution
rationnelle critique. Et malgré tout, il faut savoir en payer le prix
individuel, collectif parce que ce n´est qu´ainsi qu´on peut, en influençant
ses divers paramètres, faire en sorte qu´elle réponde réellement à nos attentes
ou aux exigences contemporaines que la connaissance, le progrès ou la tolérance
nous imposent.
La démocratie, contrairement à ce que beaucoup pensent, n´est qu´un système
à large légitimation sociale d´organisation et de gestion de l´ordre public
autant dans ses valeurs éthiques et morales, que dans le processus par lequel
cet ordre est représenté, assumé ou que s´exercent ses prérogatives de contrôle
et de bon fonctionnement. Il est le mode le plus crédible et le plus partagé de
l´exercice du pouvoir par la volonté d´un peuple souverain. Il y a plusieurs
formes de démocratie ; mais ce qui les qualifient tous, c´est l´élection
précise et ordonnée de l´organe de représentation (parlement) sociale par
suffrage universel.
Pourquoi est-il important de distinguer ces deux définitions ? Mais
parce qu´il ne faut pas confondre le fond de la forme, le four du moulin ou
comme c´est souvent le cas actuellement, mettre la charrue devant les
boeufs ; ce qui est par trop souvent le cas en Afrique et en pays sous
développé où beaucoup, sous le coup de l´aliénation, de l´intrigue du pouvoir
ou simplement de l´insuffisance intellectuelle, succombent au mirage d´un
modernisme surfait qui profitait plus aux étrangers qu´aux nationaux. On
habille en effet trop rapidement les loups de peaux de moutons pour donner les
apparences qui ne sont, en vérité, que trompeuses ou ruineuses ; par-là on
dissipait les accumulations sociales et restait faible, ce qui permettait aux
intérêts étrangers abusifs à exercer facilement leurs faussetés. Ou alors on se
donne des institutions vides de responsabilité qui oppriment leurs peuples par
leur rapacité et leur corruption plutôt qu´elles ne remplissent leurs devoirs
réels de promouvoir et de protéger la réalisation culturelle, économique et
sociale des leurs. Autant dans sa dimension collective que dans leurs attentes
individuelles.
Pour parler vrai de démocratie ou de liberté, il faut bien admettre que ce
n´est pas parce qu´on a de belles casseroles neuves ou des couverts neufs que
pour cela les divers mets délicats nous sont gratuitement garantis ou se
cuisent et se servent tous seuls ! Il faut les acheter, les produire ou les
cuire d´abord avec talent avant de pouvoir s´en servir ou s´en délecter. En fin
de compte, ce qui est important, c´est la satisfaction de la faim qui tenaille
tous les acteurs sociaux, pas les apparences ou une quelconque mise en scène
vide.
La crise économique et financière actuelle va mettre à jour combien
importants sont les contenus réels des processus d´acquisition, de mise en jeu
et d´entretien du bien-être social. Quand ceux-ci sont inexistants, corrompus
ou négligés comme on le voit en pays sous développé, et malgré quelques
institutions ou prétentions démocratiques, la pauvreté et la misère
persistent : ce qui empêche autant l´emploi, le développement économique,
le bien-être que la réalisation individuelle. Et quand ces processus sont
faussés, abusifs ou fondés sur des logiques fallacieuses d´exploitation
économique ne servant, malgré toute prétention de liberté ou de démocratie,
qu´à une petite minorité ; à la longue, l´impasse de saturation est aussi
programmée parce que la réalisation qui est autant l´objet que le but de la
liberté et de la démocratie, est un lieu d´équilibre d´harmonie. Et il est
difficile d´y aspirer en partant de prémisses ou de valeurs truquées ou
fausses, parce qu´alors le résultat ne serait plus ni juste et paisible, ni de
longue durée.
En fait, et sans nous avancer gratuitement, il est évident que la liberté
comme la démocratie qui sont tous des moyens de réalisation se doivent autant
d´être ouverts ou accessibles à tous, flexibles, autant qu´ils doivent
respecter une loi universelle d´équilibre par laquelle leur véritable
but : la réalisation doit rester possible, continue et légitime à tout
être humain, à toute société humaine selon qu´elle accepte sincèrement de
commettre les efforts et les conditions requis par sa réalisation. Bien entendu
en tenant compte que tout autre qu´eux a aussi les mêmes droits. La liberté
réelle et la démocratie véritable l´exigent : on ne peut pas s´en réclamer
tout en les privant volontairement ou sciemment aux autres; comme on ne peut
pas en endosser les institutions ou les apparences tout en se refusant à en
accomplir les devoirs et les obligations la rendant pleine, réelle et
vivante.
Musengeshi Katata
« Muntu wa
Bantu, Bantu wa Muntu »
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